On se sert du roman policier pour faire passer toutes sortes de « messages », messages prétendument humanitaires, ou carrément philosophiques! Il y a un courant assez fort, actuellement, qui véhicule des trames ayant pour base l’indispensable policier véreux et l’assassin, innocente victime du sort. ... Entre parenthèses, aucun suspens quant à l’identité du coupable : c’est invariablement « la société ». Et tout cela, bien sûr, baigne la plus béate utopie.

— Paul Halter, À 139 pas de la mort

mardi 27 décembre 2011

Tobie or not Tobie — René Reouven

J’aime le postulat du livre Tobie or not Tobie de René Reouven. L’auteur part de la Bible ( le livre de Tobie pour être plus précis) et « aménage » le texte pour en faire un excellent roman policier ! Mieux, il y ajoute un excellent crime impossible !

Le livre de Tobie se prète particulièrement bien à l'exercice, puisqu'il raconte l'histoire de Sarah, une fille de vingt ans déjà mariée à sept reprises. Chaque fois, le marié est tué le soir des noces, apparemment par le démon Asmodée: il meurt tout simplement de peur, devant dix autres hommes qui ont mangé et bu la même chose que lui: l'empoisonnement est donc exclu.Mais comment l'assassin peut-il « cibler » une seule victime sans laisser des traces ? Oui, c’est un crime impossible, et la solution est excellente.

Mais le crime impossible n'apparaît que tardivement dans le roman. Ce n'est qu'à la 160ième page (de 200) qu'il en est enfin question. Mais on ne s’ennuie pas— on suit notre héro Tobie, qui décide de devenir le huitième mari. La famille de Sarah n’est pas franchement ravie, et l'atmosphère est donc assez tendue. Reouven démontre beaucoup de talent : il y a quelques scènes excellentes où Tobie entend au dehors une étrange musique - un appel à Asmodée et un signe de mauvais présage.

Mais surtout j’aime l’esprit du livre. M. Reouven est un auteur génial. Le livre est, d'après lui, la traduction fidèle de rouleaux écrits par le prophète-détective Daniel. On y trouve de nombreuses références anachroniques, notamment à Shakespeare – le titre du livre bien sûr, mais aussi ce dialogue qui énumère les victimes d'Asmodée :

Ils sont morts tous les sept, Tobie ! Ils sont morts, Amnon, fils de Saül, Eliahou, fils de Dan, Uri le Galiléen… Moshe, de Kimmanshah, est mort. Yohanan, le voyageur, est mort. Rosencranz et Gulderstein sont morts.

Reouven ajoute en bas de page:

Si l’auteur a réussi à reconstituer l’étymologie du nom de Médor ainsi appelé parce que c’était un chien de Médie, acheté par Tobie à un caravanier pour une bouchée de pain azyme, il n’a pu, en revanche, déterminer l’origine de ces deux noms.

Il y a beaucoup d'autres références—Tobie s'interroge sur le « mystère » de la chambre (jaune) de Sarah, et dit à l'un de ses amis: « Elémentaire, mon cher Azarias » Sans parler de l'intrigue elle-même, qui respecte scrupuleusement les évènements du Livre de Tobie (mais je ne peux pas en dire plus...) Tous les éléments trouvent leur place, et je suis certain qu’il y en a quantité d'autres que je n'ai pas compris!

Tobie or not Tobie, la question ne se pose pas ! Ce livre est un chef-d'oeuvre, sans le moindre doute. Tobie est un excellent personnage et l'intrigue est formidable. Bravo, M. Reouven! J'ai d'ores et déjà acheté un autre de ses livres (Souvenez-vous de Monte Cristo) et je suis tout excité à l'idée de le lire!